Quand je prends la plume, il n'y a plus d'heure ni de jour



Cher Amour,
  
Quand je prends la plume, il n'y a plus d'heure ni de jour, plus de peur ni de détours. Elle lime la page de phrases en profondeur de siècles, éternelle fougueuse en voyage se moquant du sablier.
   
Duvet, elle dessine les contours de ton visage que mes yeux de poète ont si savamment imprimés en mémoire de cygne. Oui, je sais, tu n'aimes pas trop les embrasements exagérés et téméraires. Pour qui ? Pour toi ou pour moi ? Tu préfères te taire. Je te comprends. 
  
Chaque histoire a son lot de folies et de sagesses. Tu explores des territoires qui te sont finalement peu familiers. J'ai dans ce genre d'échanges une avance certaine, même si j'attends la malle postale impatiemment. Tes mots écrits me reviendront-ils au prochain passage ? Quelle impatience à les lire comme fortune d'orpailleur au creux d'une ligne ! Je te déroute souvent... Et pourtant, je devine ton regard profond et le chemin de ses attentions.
  
En bord de lande, en haut de falaise, la bruyère éclate dans le vent. Une mer nous sépare encore, mais étrangement je ne m'inquiète plus. Le début de l'acceptation sans doute. Je rentre au cottage. Inutile d'espérer un courrier aujourd'hui. Sous les pas de la tempête annoncée, les voiles sont cordées aux mâts. Ne me reste qu'à délester l'encrier de gouttes de patience jusqu'au prochain bord de quai. Tu recevras donc quelques plis supplémentaires. 

Je te remercie pour le rosier reçu. Il s'est bien implanté le long de la façade, en pied de jardin, à droite du banc où nous avions coutume de nous asseoir, rires de nos étés.
  
Désolée si je prose aujourd'hui, la muse Poème est au repos. J'ai donc laissé ma plume inventorier les petits événements anodins de cette journée, parfumant ainsi tes prochaines lectures de ces simples heures.


Quand tu seras de retour, nous irons en bord d'océan cueillir les embruns joyeux de nos retrouvailles.

N'oublie pas dans tes bagages de me glisser l'édition tant attendue de ce poète français dont nous parlions il y a peu. J'ai bien reçu la description précieusement rédigée par tes soins quant à l'imprimeur et au fini de la reliure. Le prix proposé est par là-même très raisonnable.

Il me faut à présent glisser la plume sous les reflets de la lune. Elle me rappelle l'heure tardive et le besoin de dormir. Je tiens à pouvoir être aussi florale que le parfum du rosier.

Sois prudent dans le choix du jour de ton départ et reviens-moi vite. Qu'un vent doux souffle tes voiles jusqu'à moi.

A.



De la plume funambule Sandra Dulier, auteure de Fleur de Poésie, Source de Vie (2012), Fleurs d'écume (2015), Carnets poétiques (2016) et Ambres salines, regards d'écume (2017). Extrait de Correspondances anonymes, en cours d'écriture.